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LA nuit tombait sur la Ville Sèche, hésitante, comme si le grand soleil rouge répugnait à se coucher en cette saison. Liriel et Kyrrdis, pâles dans le jour déclinant, flottaient juste au-dessus des murs de Shainsa.
À l’intérieur des portes de la cité, à la lisière de la grande place du marché balayée par le vent, une petite troupe de voyageurs était en train d’établir son campement, de desseller les montures et de décharger les bêtes de somme.
Ils n’étaient pas plus de sept ou huit. Tous étaient vêtus des pèlerines à capuchon, des tuniques épaisses et des culottes de cheval des gens de la montagne, dans la lointaine contrée des Sept Domaines. Il faisait chaud dans les terres désertes de Shainsa, à cette heure où le soleil dardait encore ses rayons brûlants avec assez de force, mais les voyageurs n’en gardaient pas moins leurs pèlerines à capuchon. Et si chacun était armé d’un couteau et d’une dague, aucun ne portait une épée.
C’était suffisant pour ameuter la bande des oisifs de la Ville Sèche qui se groupèrent autour des étrangers et les regardèrent dresser le camp. L’un de ces étrangers, suant sous le poids des sacoches chargées, rejeta son capuchon et sa pèlerine et découvrit une jolie petite tête aux cheveux coupés très court. C’était là une coiffure qu’aucun homme – ou aucune femme – des Domaines ou des Villes Sèches n’adoptait jamais. Les curieux commencèrent à s’attrouper. Il se passait si peu de chose en temps ordinaire, dans les rues de la Ville Sèche, que les badauds se comportèrent comme si la venue des étrangers était un spectacle gratuit organisé à leur seul profit et se sentirent tous autorisés à commenter la représentation.
— Hé ! vous autres ! Venez jeter un coup d’œil par ici ! Ce sont des Amazones Libres qui viennent des Domaines !
— Des putains sans vergogne, voilà ce que c’est ! Elles courent un peu partout sans avoir un homme à elles ! Je ficherais tout ce beau monde à la porte de Shainsa avant qu’elles ne corrompent nos épouses et nos filles respectables.
— Qu’est-ce qui te prend, Hayat ? Tu ne les as pas en main, tes femmes ? Ce ne sont pas les miennes, je t’assure, qui s’échapperaient pour tout l’or des Domaines… Si j’essayais de les libérer, elles reviendraient en pleurant. Elles savent où est leur bonheur.
Les Amazones entendirent ces réflexions, mais on les avait prévenues et préparées à cela. Elles continuèrent donc tranquillement à dresser le camp comme si leurs observateurs étaient invisibles et muets. Encouragés par cette attitude, les hommes de la Ville Sèche se rapprochèrent et les plaisanteries jaillirent, osées et grossières. Certaines d’entre elles furent adressées directement aux femmes.
— Vous avez tout, hein, les filles… épées, couteaux, chevaux, tout, sauf ce qu’il faut pour ça !…
Une des femmes rougit, se retourna et ouvrit la bouche, prête à répliquer. La responsable du groupe, une grande femme élancée aux gestes, vifs, se tourna vers elle et lui parla à voix basse, d’un ton pressant. La jeune femme baissa les yeux et se retourna vers les piquets de la tente qu’elle était en train d’enfoncer dans le sable rugueux.
Un des badauds, remarquant cet échange discret, s’approcha de la cheftaine.
— Vos filles vous obéissent au doigt et à l’œil, pas vrai ? marmonna-t-il d’un air chargé de sous-entendus. Pourquoi ne pas les laisser seules et venir me tenir compagnie ? Je pourrais vous apprendre des choses dont vous n’avez même jamais rêvé…
L’Amazone se retourna et rejeta son capuchon, découvrant sous les cheveux grisonnants coupés court, le visage mince et agréable d’une femme d’âge mûr.
— Il y a belle lurette que j’ai appris tout ce que vous pourriez m’apprendre ; c’était bien avant que vous n’ayez été domestiqué, espèce d’animal ! jeta-t-elle d’une voix légère et nettement audible. Quant aux rêves, j’ai des cauchemars comme tout le monde, mais grâce à Dieu, je me suis toujours réveillée, jusqu’à présent.
Les spectateurs s’esclaffèrent.
— Te voilà servi, Merack !
Voyant que les plaisanteries des curieux s’adressaient à l’un des leurs et ne les visaient plus, le petit groupe des Amazones Libres s’empressa d’installer son campement : un comptoir manifestement destiné à la vente ou à l’achat, deux tentes pour dormir et un abri pour protéger leurs chevaux élevés en montagne contre les rigueurs inhabituelles du soleil dans les Villes Sèches.
L’un des badauds s’avança et les femmes se raidirent dans l’attente d’une nouvelle insulte. Mais l’homme se montra poli.
— Peut-on vous demander la raison de votre venue ici, Vahi Domnis ?
Il avait un fort accent et l’Amazone à laquelle il s’était adressé, eut l’air décontenancé. Mais la responsable du groupe comprit et répondit à sa place.
— Nous sommes venues vendre des articles en cuir provenant des Domaines. Selles, harnais et vêtements. Nous serons ici demain pour en faire commerce dans la journée. Nous vous invitons tous à venir faire des affaires avec nous.
— Il n’y a qu’une chose que les femmes peuvent me vendre ! cria un homme dans la foule.
— Alors, achète ! Et ce sont elles qui vont te payer !
— Hé ! madame, pourquoi ne pas vendre ces culottes de cheval que vous portez ? Vous pourriez vous habiller comme une femme !
L’Amazone ignora les sarcasmes.
— Peut-on vous indiquer une distraction dans la ville, ce soir ? reprit l’homme qui était venu la questionner. Ou bien… (Il hésita et la jaugea du regard avant d’ajouter) : … vous sortir nous-mêmes ?
— Non, merci beaucoup, fit l’amazone avec un sourire contraint avant de se détourner.
— Je n’aurais pas cru que cela se passerait comme ça ! chuchota l’une des femmes les plus jeunes avec indignation. Et dire que tu l’as remercié, Kindra ! Je lui aurais cassé ses sales dents d’un coup de poing et je les lui aurais fait avaler !
Kindra sourit et tapota le bras de sa compagne pour l’apaiser.
— Ma foi, les paroles blessantes ne le sont que pour l’esprit, Devra. Cet homme m’a fait une proposition avec toute la politesse dont il était capable et je lui ai répondu de même. Comparé à ceux-là… (Ses yeux gris enveloppèrent d’un regard ironique la foule de badauds.)… c’était la galanterie faite homme.
— Kindra, on va vraiment faire des affaires avec ces gre’zuin ?
En entendant cette obscénité, Kindra eut un vague froncement de sourcils.
— Mais oui, évidemment. Il nous faut bien une raison valable pour rester ici et Jalak ne sera peut-être pas de retour avant quelques jours. Si aucune raison professionnelle ne semble nous retenir ici, nous deviendrons très suspectes. Pas question de faire des affaires ? Qu’est-ce que tu as dans la tête ? Réfléchis donc, mon enfant !
Elle s’approcha d’une femme qui empilait des sacoches à l’intérieur de l’abri.
— Toujours aucun signe de Nira ? demanda-t-elle à mi-voix.
— Aucun, jusqu’à présent.
La femme interrogée promena un regard inquiet autour d’elle, comme si elle redoutait la présence d’oreilles indiscrètes. Elle parlait un casta pur, la langue des aristocrates originaires de Thendara et des plaines de Valeron.
— Nira va sans aucun doute nous retrouver après la tombée de la nuit. Elle n’aimerait guère soutenir le feu roulant de ces gens. De plus, une personne habillée en homme ne pourrait guère pénétrer ouvertement dans notre campement sans qu’on l’arrête…
— Exact, dit Kindra en jetant un coup d’œil à leurs observateurs. Et ce n’est pas une nouvelle venue dans ces Villes Sèches. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un peu peur. C’est bien à contrecœur que j’envoie une de mes femmes en habit d’homme, même si c’était sa seule sauvegarde, ici.
— En habit d’homme…
La femme répéta ces paroles comme si elle avait mal compris l’expression de son interlocutrice.
— Mais n’êtes-vous pas toutes habillées en hommes, Kindra ?
— Vous trahissez votre ignorance de nos coutumes, Dame Rohana, répondit Kindra. Je vous supplie de parler à voix basse, on risque de surprendre notre conversation.
Son ton marquait une certaine indignation et Dame Rohana s’empressa d’intervenir.
— Je n’ai pas voulu vous offenser, croyez-moi, Kindra. Mais votre tenue n’est certainement pas celle d’une femme… pas d’une femme des Domaines, en tout cas.
— Je n’ai pas le temps pour le moment de vous expliquer toutes les coutumes et toutes les lois de notre Guilde, Dame Rohana, répondit l’Amazone Libre dont la voix contenait un mélange de déférence et de contrariété. Pour l’instant, il vous suffit…
Elle s’interrompit car les curieux venaient à nouveau de faire entendre leurs gros rires. Devra et une autre amazone conduisaient leurs montures vers le puits commun, au centre de la placé du marché… L’une d’elles paya le droit d’abreuvage avec les anneaux de cuivre qui, partout à l’est de Carthon, tenaient lieu de monnaie, tandis que sa compagne menait les chevaux à l’abreuvoir. Comme la première Amazone revenait pour aider Devra à faire provision d’eau, un des badauds de la foule la prit par la taille et l’attira brutalement contre lui.
— Hé ! ma jolie, pourquoi ne pas laisser tomber ces putains et venir avec moi ? J’ai plein de choses à te montrer et je parie que tu n’as jamais… Ouille !
Il s’interrompit pour pousser un hurlement de rage et de douleur. La jeune femme avait prestement sorti un poignard de sa gaine et d’un geste vif en avait frappé l’homme de bas en haut. Les vêtements fendus, infects et loqueteux, s’ouvrirent, révélant une chair nue et malsaine sur laquelle, du bas-ventre jusqu’aux clavicules, l’entaille profonde d’un demi-centimètre dessinait une ligne rouge et rampante. L’homme recula en titubant, chancela et s’écroula dans la poussière. La jeune Amazone lui décocha avec mépris un coup de son pied chaussé de sandale.
— Débarrasse le plancher, bre’sui ! fit-elle à mi-voix d’un ton féroce. Sinon, la prochaine fois, je te mettrai les tripes à l’air et tes cuyones avec ! Et maintenant déguerpissez, sales types, sans quoi vous ne serez plus bons qu’à vous prostituer dans les bordels d’hommes d’Ardcarran !
L’homme qui continuait à gémir, plus sous l’effet du choc que de la douleur, fut entraîné au loin par ses amis. Kindra s’avança à grands pas vers l’Amazone qui était en train d’essuyer son couteau. Celle-ci leva les yeux et lui sourit, pleine d’une fierté innocente pour s’être si bien défendue. Kindra lui arracha son couteau.
— Bravo, Gwennis ! Maintenant, tu nous as toutes rendues suspectes ! Ta fierté à savoir jouer du couteau risque de ruiner notre mission ! Quand j’ai demandé des volontaires pour cette expédition, c’était des femmes que je recherchais, pas des enfants gâtées !
Les yeux de Gwennis s’emplirent de larmes. Ce n’était qu’une toute jeune fille de quinze ou seize ans.
— Je suis désolée, Kindra, dit-elle d’une voix chevrotante. Qu’aurais-je dû faire ? Aurais-je dû laisser ce dégoûtant gre’zu poser ses pattes sur moi ?
— Crois-tu vraiment que tu courais le moindre danger, ici, en plein jour et devant une telle foule ? Tu aurais pu te dégager sans faire couler de sang et le ridiculiser sans même sortir ton couteau. On t’a appris à te défendre en cas de réel danger de viol ou de blessure, Gwennis, pas pour la sauvegarde de ta fierté. Il n’y a que les hommes qui sont obligés de jouer aux jeux du kihar, ma fille. Cela est indigne d’une Amazone Libre. (Elle ramassa le couteau à l’endroit où il était tombé dans la poussière et essuya le peu de sang qui souillait encore la lame.) Si je te le rends, pourras-tu le garder à sa place jusqu’à ce que tu en aies vraiment besoin ?
Gwennis baissa la tête.
— Je le jure, marmonna-t-elle.
Kindra le lui tendit.
— Tu en auras besoin bien assez tôt, breda, dit-elle avec douceur. (Elle passa un bras autour des épaules de la jeune fille pendant un instant.) Je sais que c’est difficile, Gwennis, ajouta-t-elle. Mais souviens-toi que notre mission a plus d’importance que ces stupides désagréments.
Elle laissa ses compagnes achever la corvée d’eau, remarquant avec un sourire sarcastique que la foule des observateurs désœuvrés s’était évaporée comme par magie. Gwennis a mérité chacune des réprimandes sévères que je lui ai adressées. Mais je suis drôlement contente qu’elle nous ait débarrassées de ces individus !
Le soleil s’enfonça derrière les collines basses et les petites lunes entamèrent leur ascension dans le ciel. La place fut désertée pendant un moment. Puis quelques femmes de la Ville Sèche, enveloppées dans leurs jupes et leurs voiles encombrants, commencèrent à envahir la place du marché pour acheter de l’eau au puits commun. Chacune d’elles se déplaçait avec un petit cliquetis de chaînes. Dans la Ville Sèche, l’usage voulait que les mains de chaque femme soient entravées d’un poignet à l’autre par un bracelet de métal. Ces bracelets étaient reliés à une longue chaîne qui passait dans un anneau de métal à la ceinture. De sorte que lorsqu’une femme bougeait une main, ce geste faisait remonter l’autre main qui se trouvait coincée contre l’anneau fixé à la taille.
Le camp des Amazones Libres était plein d’odeurs de cuisine provenant de leurs petits feux. Quelques femmes de la Ville Sèche s’approchèrent et dévisagèrent ces femmes étranges avec un mélange de curiosité et de mépris : leurs cheveux courts, leurs vêtements grossiers et garçonniers, leurs mains libres, leurs pantalons et leurs sandales basses. Les Amazones, conscientes de cet examen insistant, leur rendirent la pareille avec une égale curiosité quelque peu entachée de pitié. La femme qui s’appelait Rohana finit par ne plus pouvoir le supporter. Laissant son assiette presque pleine, elle se releva et alla se réfugier dans la tente qu’elle partageait avec Kindra. Au bout d’un moment, la cheftaine des Amazones la rejoignit à l’intérieur.
— Mais vous n’avez rien mangé, Madame ! s’écria-t-elle avec surprise. Puis-je vous servir, alors ?
— Je n’ai pas faim, répondit Rohana d’une voix étranglée.
Elle rejeta son capuchon, révélant dans la pénombre, une chevelure flamboyante qui la désignait comme un membre de la caste télépathe des Comyn : cette caste qui gouvernait les Sept Domaines depuis un temps inconnu et immémorial. En fait, ses cheveux avaient été coupés court ; mais rien ne pouvait dissimuler leur couleur et Kindra fronça les sourcils tandis que la noble Comyn poursuivait.
— La vue de ces femmes m’a coupé l’appétit. J’ai le cœur trop barbouillé pour avaler quoi que ce soit. Comment pouvez-vous supporter ce spectacle, Kindra, vous qui attachez tant d’importance à la liberté pour les femmes ?
Kindra haussa légèrement les épaules.
— Je n’éprouve pas grande sympathie pour ces femmes. Chacune d’elles pourrait être libre, si elle le voulait. Si elles préfèrent subir des chaînes plutôt que de perdre la faveur de leurs hommes ou se distinguer de leurs mères et de leurs sœurs, je ne vais pas gaspiller ma pitié pour elles et encore moins perdre le sommeil ou l’appétit. Elles supportent leur captivité tout comme vous subissez la vôtre, dans les Domaines, Madame. À dire vrai, je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de différence entre vous. Ces femmes-ci sont peut-être plus honnêtes, car elles reconnaissent l’existence de leurs chaînes et n’ont pas la prétention d’être libres. Tandis que vos chaînes à vous, sont invisibles… mais sont très lourdes, elles aussi.
Le visage pâle de Rohana rougit de colère.
— Dans ce cas, je me demande pourquoi vous avez accepté cette mission ? rétorqua-t-elle. Etait-ce seulement pour gagner votre paie ?
— Il y a eu de ça, bien sûr, reconnut Kindra, imperturbable. Je suis une mercenaire. Je vais, dans les limites du bon sens, où l’on me paie pour aller et je fais ce qui me rapporte le plus. Mais il y a davantage, ajouta-t-elle d’un ton radouci. Dame Melora, votre parente, n’est pas responsable de sa captivité, elle n’a pas choisi sa forme de servitude. Si je comprends bien ce que vous m’avez raconté, Jalak de Shainsa – que sa virilité se flétrisse ! – a fondu sur l’escorte de votre cousine, a massacré ses gardes et l’a enlevée de force. Il désirait par esprit de revanche ou par pure soif de cruauté, garder une leronis des Comyn en esclavage ou en captivité, en qualité d’épouse… ou de concubine, je ne sais plus.
— Cela ne fait pas beaucoup de différence dans les Villes Sèches, apparemment, dit Dame Rohana avec amertume.
Kindra approuva d’un hochement de tête.
— Cela ne fait guère de différence nulle part, à mon avis, vai domna. Mais je ne m’attends pas à ce que vous me donniez raison. Quoi qu’il en soit, Dame Melora a été emmenée pour mener une vie d’esclave qu’elle n’avait pas choisie et ses parents survivants n’ont pas pu ou pas résolu de la venger.
— Il y en a qui ont essayé, dit Rohana d’une voix tremblotante. (Son visage était presque invisible dans l’obscurité grandissante de la tente, mais il y avait des larmes dans sa voix enrouée.) Ils ont disparu sans laisser de trace, jusqu’au troisième : le plus jeune fils de mon père, mon demi-frère. C’était aussi le frère de lait de Melora : ils avaient grandi et joué ensemble.
— J’ai eu vent de cette histoire, dit Kindra. Jalak a renvoyé l’anneau qu’il portait et s’est vanté de faire subir le même sort et pire encore à toute autre personne qui viendrait pour la venger. Mais cela remonte à une dizaine d’années, Madame, et à la place de Dame Melora, je n’aurais pas continué à vivre au risque de mettre d’autres parents en danger. Si elle est restée douze ans dans la Maison de Jalak, elle ne doit certainement plus avoir grand besoin d’être sauvée, à l’heure qu’il est. Depuis le temps, il est permis de croire qu’elle a dû se résigner à son sort.
Le pâle visage de Rohana rougit par plaques.
— C’est ce que nous avons cru, à vrai dire. Et que Cassilda ait pitié de moi, je l’ai blâmée en pensée, moi aussi, préférant la savoir morte plutôt que vivante dans la Maison de Jalak, pour notre honte à tous.
— Et pourtant, vous voilà ici, à présent, dit Kindra.
Ce n’était pas une question, mais Dame Rohana y répondit.
— Vous savez ce que je suis : une leronis, instruite à la Tour. Une télépathe. Nous avons séjourné ensemble, Melora et moi, dans la Tour de Dalereuth, quand nous étions jeunes filles. Nous n’avons, ni l’une ni l’autre, choisi d’y rester pour la vie, mais avant que je ne quitte la Tour pour me marier, on a uni nos esprits. On nous a appris à nous rejoindre en pensée. Ensuite, sa tragédie est survenue. Au cours des années qui se sont écoulées dans l’intervalle je n’avais certes pas oublié. J’avais appris à considérer que Melora était morte ou du moins disparue hors de ma portée, loin, loin, hors d’atteinte, échappant à mes pensées. Alors – voilà tout juste quarante jours de cela – Melora m’a rejointe en pensée comme nous avions appris à le faire dans la Tour de Dalereuth, quand nous étions de toutes jeunes filles…
Sa voix était lointaine, étrange. Kindra comprit que la femme aux cheveux roux ne s’adressait plus à elle, mais à un souvenir, qu’elle répondait à un engagement.
— C’est à peine si je l’ai reconnue, poursuivit Rohana. Elle avait tellement changé. Résignée à son sort de compagne et de captive de Jalak ? Non. Mais tout simplement, elle ne voulait plus être la cause d’autres morts et d’autres tourments… (La voix de Rohana se troubla.) J’ai appris alors que mon frère, son frère de lait, avait été torturé à mort sous ses yeux, en guise d’avertissement pour le cas où elle aurait cherché du secours…
Kindra fit une grimace d’horreur et de dégoût. Mais Rohana continua à parler, affermissant sa voix au prix d’un terrible effort.
— Melora m’a dit que, finalement, au bout de tant d’années, elle attendait un fils de Jalak et qu’elle mourrait avant de lui donner un héritier de sang Comyn. Elle n’a pas demandé du secours pour elle-même, même à ce moment-là. Je crois qu’elle désire mourir. Mais elle ne veut pas laisser son autre enfant entre les mains de Jalak.
— Un autre enfant ?
— Une fille, répondit calmement Rohana. Elle l’a mise au monde quelques mois après son enlèvement. La fillette a douze ans. Elle est assez grande… assez grande pour être enchaînée, acheva Rohana d’une voix chevrotante. (Elle détourna le visage et sanglota.) Melora n’a rien demandé pour elle. Elle m’a seulement suppliée d’emmener sa fille au loin ; loin d’ici et de l’arracher aux mains de Jalak. Uniquement pour… pour pouvoir mourir en paix.
Le visage de Kindra avait pris une expression menaçante. Avant de mettre au monde une fille destinée à vivre dans les Villes Sèches, captive et enchaînée, songea-t-elle, je me tuerais moi et la vie que je porte, ou bien j’étranglerais le bébé au moment où il sortirait de mon ventre ! Mais les femmes des Domaines sont faibles. Elles sont toutes lâches ! Aucune de ces pensées ne transparut dans sa voix, cependant, lorsqu’elle posa une main sur l’épaule de Rohana et lui parla doucement.
— Je vous remercie de m’avoir dit ça, Madame. Je n’avais pas compris. Notre mission ne consiste donc pas tellement à sauver votre parente…
— Qu’à libérer sa fille. C’est ce qu’elle a demandé. Encore que si… si Melora peut être libérée…
— Ma foi, on s’est engagées, ma troupe et moi, à faire tout ce qu’on pourrait, dit Kindra. Et je crois que chacune d’entre nous risquerait sa vie pour sauver une fillette et l’arracher à une vie dans les chaînes. Mais pour l’instant, vous allez bientôt avoir besoin de toutes vos forces, Madame, et l’on ne trouve ni courage ni sagesse dans un ventre vide. Il n’est guère convenable que je donne des ordres à une comynara, mais pourquoi n’iriez-vous pas rejoindre mes femmes maintenant, pour finir votre repas ?
Rohana eut un sourire un peu hésitant. Ma parole, malgré la brutalité de ses propos, elle est bonne !
— Avant de me joindre à vous, mestra, répondit-elle à haute voix, je me suis juré de me conduire en tout point comme une de vos amazones. Je suis donc tenue de vous obéir.
Elle sortit de la tente. Kindra, debout sur le seuil, la vit prendre place auprès du feu et accepter une pleine assiettée de viande et de haricots en ragoût.
Kindra ne la suivit pas tout de suite. Elle resta debout, songeant à ce qui les attendait. Si Jalak apprenait que des gens des Domaines se trouvaient dans sa cité, il risquait d’être déjà sur ses gardes. Mais peut-être avait-il tant de mépris pour les Amazones Libres qu’il ne prendrait même pas la peine de se protéger contre elles ? Elle aurait dû insister pour que la noble Comyn se fasse teindre les cheveux. Si jamais un espion de Jalak repérait une femme Comyn aux cheveux roux… Je n’aurais jamais cru qu’elle accepterait de les couper.
Peut-être le courage est-il relatif. Peut-être lui a-t-il fallu autant de courage pour se couper les cheveux qu’il m’en faut, à moi, pour me servir de mon couteau contre un adversaire…
Cela vaut la peine de prendre des risques si c’est pour soustraire une jeune fille aux pattes de Jalak, la libérer de ses chaînes et lui offrir la liberté.
… Ou du moins, la liberté relative qu’une femme peut connaître dans les Domaines.
En un geste inconscient, Kindra leva une main et toucha ses cheveux gris coupés court. Elle n’était pas née dans la Guilde des Amazones Libres. Elle y était venue après un choix si douloureux que son seul souvenir avait encore le pouvoir de lui faire serrer les lèvres et de lui imprimer un regard lointain. Elle porta ses regards sur Rohana, assise dans le cercle des Amazones autour du feu, qui mangeait en écoutant parler les femmes. Je lui ressemblais beaucoup, jadis : j’étais douce, résignée à la seule vie que je connaissais. J’ai choisi de m’affranchir. Rohana a fait un choix différent. Mais je n’ai pas pitié d’elle, non plus.
Mais Melora, elle, n’a pas eu le choix. Ni sa fille.
Elle songea sans passion qu’il était probablement trop tard pour Melora. Il ne pouvait plus lui rester grand-chose à espérer de la vie, au bout de dix années dans les Villes Sèches. Mais elle avait, de toute évidence, conservé assez de son ancien « moi » pour fournir un effort considérable afin d’obtenir la liberté de sa fille. Kindra ne savait pas grand-chose sur les pouvoirs télépathiques des Comyn. Mais elle sentait bien que pour atteindre Dame Rohana, par-delà une telle distance et au bout d’une séparation aussi longue, Melora avait dû fournir un effort colossal et angoissant. Pour la première fois, Kindra éprouva, un instant, une réelle sympathie pour Melora. Celle-ci avait accepté la captivité plutôt que de laisser un autre de ses parents risquer de mourir sous la torture. Mais elle était prête à tout risquer pour permettre à sa fille de choisir. Et pour que son enfant ne vive et ne meure pas sans rien savoir de ce qui n’était pas l’univers enchaîné et carcéral des femmes de la Ville Sèche.
Dame Rohana a bien fait de faire appel à moi. Au bout de tant d’années, le reste de sa famille Comyn devait, sans aucun doute, espérer que Melora était morte et souhaiter oublier qu’elle vivait en esclavage, vivant reproche pour eux…
Mais c’est pour cela que les Amazones Libres existent, en dernière analyse. Pour que chaque femme puisse, au moins, savoir que ses semblables ont le choix… et que si elles acceptent les contraintes imposées aux femmes sur Ténébreuse, ce puisse être à la suite d’un choix et non pas faute d’imaginer quoi que ce soit d’autre…
Kindra était sur le point de quitter la tente et de retourner prendre son repas auprès du feu quand elle entendit un petit bruit curieux. Le sifflement d’un « oiseau de pluie ». Une espèce d’oiseau dont jamais on n’entendait le cri ici, dans les Villes Sèches… Elle se retourna vivement, inquiète et sur le qui-vive, en voyant une petite silhouette frêle se faufiler sous le fond de la tente. L’obscurité était profonde, mais elle savait qui cela devait être.
— Nira ? chuchota-t-elle.
— À moins que tu ne croies qu’un « oiseau de pluie », saisi de folie, soit venu à tire-d’aile pour mourir ici, rétorqua Nira en se redressant.
— Tiens, enlève-moi ces vêtements, dit Kindra. On ne remarquera jamais une femme de plus autour de notre feu, mais dans ces vêtements d’homme, tu provoquerais un nouvel attroupement. On en a eu notre compte pendant qu’on déchargeait.
— J’en ai entendu parler, fit Nira, narquoise, tout en enlevant ses bottes et en se débarrassant de l’épée courte qu’elle portait – transgressant ainsi la loi des Domaines – avant de cacher l’arme dans la pagaille de la tente.
Kindra lança un pantalon vague d’amazone et une chemise à la jeune femme, vit que la lueur du feu dessinait très vaguement sa silhouette et réduisit encore la flamme de la minuscule lampe de la tente jusqu’à ce qu’elles fussent dans l’obscurité. Nira était en train de plier son déguisement. Comme elle enfilait ses vêtements, Kindra s’approcha d’elle.
— Y a-t-il eu des ennuis ? demanda-t-elle dans un murmure. Quelles sont les nouvelles, mon enfant ?
— Pas d’ennuis. Je me suis fait passer pour le jeune fils d’un marchand originaire des montagnes ou pour un apprenti. On m’a prise pour un jeune garçon imberbe dont la voix n’avait pas encore mué. En fait d’informations, je n’ai récolté que les commérages de la place du marché et quelques bavardages des serviteurs à la porte de Jalak. La Voix de Jalak qui garde la Grande Maison quand le Seigneur est absent, a reçu un message annonçant que Jalak, ses femmes, ses concubines et toute sa maisonnée seront de retour demain, avant midi. Une des esclaves m’a dit qu’ils seraient revenus ce soir sans l’épouse du seigneur qui attend un enfant et ne pouvait parcourir une telle distance à cheval dans la journée. Jalak a envoyé dire aux sages-femmes qu’elles devaient se tenir prêtes à tout moment dès son retour et les domestiques font des paris pour savoir si ce sera le fils qu’il désire… Il semble qu’il n’ait engendré que des filles, que ce soit avec sa femme, sa concubine ou son esclave, et qu’il ait promis que la première de ses femmes qui lui donnera un fils, aura des rubis d’Ardcarran et des perles apportées des villes côtières de Temora. Une vieille sage-femme affirme qu’elle peut annoncer que ce sera un fils, à la façon dont Dame Melora porte l’enfant, bas et en largeur. Et tant qu’il nourrit cet espoir, Jalak ne fera rien qui puisse la mettre en danger…
Kindra fit une grimace de dégoût.
— Ainsi Jalak campe dans le désert ? À quelle distance ?
Nira haussa les épaules.
— Pas plus de quelques kilomètres, si j’ai bien compris. On pourrait peut-être s’arranger pour attaquer le campement de Jalak… ?
Kindra fit non de la tête.
— Folie. As-tu oublié ? Les habitants des Villes Sèches sont des paranoïaques. Ils vivent de dissensions et de combats. Sur la route, crois-moi sur parole, Jalak sera si bien gardé que trois escouades de soldats de la garde de la ville ne pourraient pas arriver jusqu’à lui. Dans sa propre maison, il sera peut-être un peu moins sur la défensive. En tout cas, on ne pourrait pas résister à une contre-attaque en terrain découvert. Il faut frapper vite, tuer un ou deux gardes, sauter sur nos chevaux et fuir à toute vitesse. C’est la seule chance que nous ayons.
— Exact.
Nira avait revêtu des vêtements à elle. Elle était sur le point de quitter la tente avec Kindra lorsqu’elle posa la main sur le bras de sa cheftaine et la retint.
— Pourquoi faut-il garder Dame Rohana avec nous ? Elle n’est pas très bonne cavalière. Elle ne sera d’aucune utilité dans un combat. C’est à peine si elle sait par quel bout il faut prendre un couteau. Et si on la reconnaît, notre mort est assurée. Pourquoi n’as-tu pas insisté pour qu’elle nous attende à Carthon ? Ou bien est-elle comme ces hommes qui prennent un chien de garde et aboient à sa place ?
— C’est ce que j’ai cru, au début, fit Kindra. Mais Dame Melora doit être prévenue et prête à partir avec nous sur le champ. Le moindre délai pourrait causer notre perte à toutes. Dame Rohana peut communiquer avec elle sans alerter Jalak ou éveiller ses soupçons, comme cela risquerait de se produire avec un messager, si prudent soit-il. (Kindra sourit d’un air menaçant dans l’obscurité de la tente.) D’ailleurs, qui, parmi vous, veut se charger d’une femme enceinte et en prendre soin pendant le voyage de retour ? Cela n’offre guère d’attrait pour aucune de nous et nous n’avons pas les aptitudes nécessaires si elle avait besoin de soins médicaux. À moins que tu ne veuilles essayer ?
Nira éclata d’un rire lugubre.
— Qu’Avarra et Evanda m’en préservent ! J’accepte le reproche ! s’écria-t-elle.
Puis elle rejoignit les autres femmes autour du feu. Au bout d’un moment, Kindra alla se joindre à elles et prit l’assiette pleine de nourriture qu’on lui avait gardée. C’était froid à présent, mais elle mangea sans y prêter attention. Elle écouta ses compagnes parler bas entre elles tout en desservant le couvert et en établissant un tour de garde. Elle les passa mentalement en revue.
Elle avait trié ce groupe de volontaires sur le volet et avait déjà travaillé avec toutes ces femmes, auparavant, à l’exception de la jeune Gwennis. Nira qui pouvait passer pour un homme quand il le fallait et avait même appris à se servir d’une épée, la Bienheureuse Cassilda seule savait comment. Cela peut être utile contre les gens des Villes Sèches. D’après la Charte de la Guilde des Amazones Libres, le port d’une épée était interdit à toute Amazone. Ce serait une menace trop sérieuse pour les hommes des Domaines si les femmes avaient la possibilité de s’amuser avec leurs précieux jouets ! Toutefois, cette loi n’était pas toujours respectée. Kindra ne se sentait nullement coupable d’avoir permis à Nira d’enseigner aux autres ce qu’elle connaissait du maniement d’une épée. Il y avait aussi Leeanne qui avait été châtrée à quatorze ans et ressemblait à un garçon élancé : la poitrine plate, le corps dur et sec. Une autre amazone avait subi cette opération de castration – illégale, mais qu’il fallait admettre encore parfois comme un fait accompli[1] : Camilla. Elle était d’une bonne famille des Collines Kilghard et n’utilisait pas son nom de famille, Lindir, car ses parents l’avaient depuis longtemps reniée et déshéritée. Camilla approchait de la cinquantaine et, comme Kindra, avait passé la majeure partie de sa vie à se battre comme mercenaire. Elle était marquée de multiples cicatrices de coups de couteau. Kindra avait également choisi Lori, née dans les Hellers, qui combattait en se servant de deux couteaux, à la façon des montagnards. Et Rafaella qui faisait partie de sa propre famille. Toutes les Amazones Libres n’étaient pas des guerrières, mais pour cette mission, Kindra avait choisi, avant tout, les meilleures combattantes qu’elle connaissait. Puis il y avait Devra : ce n’était pas une grande guerrière, mais plus que toute autre personne connue de Kindra, elle possédait le don de déchiffrer les terres vierges des montagnes ou du désert. La cheftaine l’avait donc choisie en la prévenant de se tenir en dehors des combats rapprochés. Ensuite, la Grosse Rima : à la fois féminine d’allure et de manières et si lourde qu’elle ne pouvait monter que les chevaux les plus puissants. Mais Kindra connaissait l’adresse avec laquelle elle savait dresser et gérer un campement. Et le confort était précieux, aussi, dans une telle expédition. En outre, comme toutes les Amazones, Rima était parfaitement capable de se défendre toute seule. Et elle possède d’autres talents dont nous aurons peut-être besoin avant d’atteindre Thendara ! se dit Kindra. Et pour finir, il y avait la jeune Gwennis et Dame Rohana.
Kindra songea que toute personne connaissant les Amazones Libres pourrait se rendre compte immédiatement que la noble Comyn n’était pas des leurs : sa démarche, sa façon de parler, sa façon de monter à cheval. Mais personne dans ce pays, la Déesse en fût louée, n’en savait aussi long sur leur compte !
Les femmes avaient fini de débarrasser la vaisselle du dîner. Kindra confia sa gamelle vide à la Grosse Rima afin que celle-ci la récure avec du sable. Rafaella sortit de la tente avec son petit rryl, le posa sur ses genoux et en pinça une corde ou deux en guise de prélude.
— Kindra, veux-tu chanter pour nous ?
— Pas ce soir, Rafi, refusa cette dernière en souriant pour se faire pardonner. Je dois dresser des plans. Je vais vous écouter.
Devra commença une chanson et Kindra s’assit, la tête dans les mains, l’esprit occupé, sans écouter la musique. Elle savait qu’elle pouvait se fier corps et âme à chacune de ces femmes. Dame Rohana était une inconnue, mais elle avait plus de raisons encore que les autres d’obéir à ses ordres. Les autres s’étaient toutes portées volontaires. En partie, du moins, à cause de la haine mortelle qu’elles vouaient aux habitants des Villes Sèches, à l’instar de toutes les Amazones Libres, de Dalereuth jusqu’aux Hellers. Les Domaines, eux-mêmes, avaient conclu une paix précaire avec les Villes Sèches et la respectaient. Ce n’était pas la perte d’une amitié qui séparait les Domaines des Villes Sèches, mais le souvenir amer des longues guerres que les deux peuples s’étaient livrées. Sans la moindre victoire décisive, d’un côté comme de l’autre. Les hommes des Domaines acceptaient peut-être la trêve actuelle par opportunisme politique. Et leurs femmes avec eux. C’est la loi de l’homme qui prévaut dans les Domaines. Les gens acceptent l’esclavage des femmes de la Ville Sèche parce qu’il leur plaît de songer combien, par contraste, ils se montrent bienveillants envers leurs propres femmes. Ils disent que tous les hommes doivent choisir leur mode de vie propre.
Mais aucune femme ayant coupé ses cheveux et prêté le serment des Amazones Libres, n’accepterait jamais ce compromis !
Kindra s’était libérée de bonne heure d’une vie qui lui semblait maintenant aussi asservie et aussi chargée de chaînes invisibles que celle de n’importe quelle femme de la Ville Sèche, avec ses bracelets décoratifs et ses chaînes de possession. Elle avait le sentiment que toute femme qui faisait sincèrement ce choix et était prête à en payer le prix, pouvait en faire autant. Oui, même celles des Villes Sèches. Pourtant, elle avait beau n’éprouver aucune sympathie pour une femme qui courbait la tête sous le joug de l’homme, elle eut quand même une bouffée de haine et d’aversion pour les hommes qui perpétuaient cette forme d’esclavage.
Devrais-je les mettre au courant de mes plans, maintenant ? Elle leva la tête et écouta. Dame Rohana qui avait une petite voix douce et peu exercée, fredonnait une chanson à énigme des Domaines avec Gwennis qui possédait un vrai timbre de soprano très léger. Kindra décida de ne pas les troubler. Laissons-leur d’abord une bonne nuit de repos.
— Montez attentivement la garde autour du camp, dit-elle. Certains des habitants de cette ville ont peut-être une petite idée à eux sur la façon dont des Amazones Libres aimeraient passer leur nuit. Et je doute que nous partagions leur point de vue.